Hua shan - Juillet 1965

Le Hua shan est un massif montagneux situé à 120 km de Xi'an dans le centre de la Chine. Il comprend 5 sommets principaux. Les roches sédimentaires dont il est formé datent du mésozoïque (Ere secondaire). Pour les grimpeurs, de longues voies d'escalade y ont été ouvertes ces dernières années. L'accès est aisé et les anciens sentiers sont équipés de câbles de de chaînes, genre via ferrata. Le Hua shan fait partie d'une réserve naturelle, mais ses pics sont accessibles en téléférique de sorte que ce sont des dizaines de milliers de touristes qui s'y rendent chaque année.  Certains monastères ont été remplacés par des petits hôtels confortables. Heureusement les itinéraires anciens ont été maintenus et sécurisés, de sorte qu'il y a foule là aussi (Le Hua shan ne doit pas être confondu avec le Huang shan, autre site assez semblable situé à l'est du pays).

En cette année 1965, j'étais en République Populaire de Chine où j'enseignais le français à l'Institut des Langues Etrangères de Shanghai. Durant les vacances d'été, avec mon camarade Eric Vuilleumier, j'eus l'occasion de faire un assez grand voyage dans le centre du pays qui nous a mené à Luoyang, à Yenan (haut-lieu du maoïsme) et à Xi'an, une très belle ancienne capitale entourée d'une puissante muraille. C'est là que se trouve la fameuse "armée de terre cuite" découverte en 1974.

Dans un hôtel de cette ville, nous apprîmes par un Anglais qui en revenait, qu'il était possible de faire une excursion de trois jours au Hua shan une des montagnes sacrées du pays. Pas facile d'obtenir une autorisation. Notre interprète, (mon collègue, professeur de français) n'avait jamais quitté les régions toutes plates des alentours de Shanghai et il redoutait quelque peu les sentiers vertigineux menant à ces montagnes. D'autre part les autorités chinoises voulaient à tout prix éviter que "les honorables experts étrangers" (sic) prennent des risques en montagne, sachant que les sentiers avaient la réputation d'être dangereux et vertigineux. Mais après que nous avons décrit en détails l'ascension de la Dent Blanche que nous avions effectuée et 1964, nous pûmes convaincre les commissaires politiques de nous donner l'autorisation de nous rendre dans une région où nous ne pouvions loger que dans des temples taoïstes assez rudimentaires tenus par des moines végétaliens.

Nous étions en juillet ; il faisait extrêmement chaud dans les villes que nous avions visitées ; nous espérions trouver en montagne un air plus frais, et ce fut le cas.

Un peu pour nous tester, les autorités organisèrent d'abord une superbe visite au site des Mille Bouddhas de Longmen, alors accessible exclusivement à pied (2 petites heures sous un soleil brûlant) avec la traversée à gué d'une rivière en crue. Ce fut une journée fabuleuse avec la découverte d'un endroit étrange et merveilleux. Des centaines de statues très réalistes de la divinité, taillées dans une falaise ou dans des grottes artificielles nous accueillirent à l'ombre, au bord de la rivière. Le Bouddha y est représenté de multiples façons, depuis des miniatures de quelques centimètres jusqu'à des géants de plusieurs mètres de haut. Malheureusement, les têtes de très nombreuses statues ont disparu, découpées et enlevées pour être vendues à des antiquaires européens peu scrupuleux avant 1949.

Le "test" ayant réussi, les camarades chinois organisèrent notre excursion au Hua shan qui débuta par une assez longue approche en voiture dans un paysages de douces collines cultivées en terrasse. Les premières heures de marche se déroulèrent en partie dans un sous-bois de bambous, dont l'ombre douce était bien agréable. S'ensuivit la rude montée vers les sommets du massif dont l'altitude s'échelonne entre 1900 et 2200 mètres approximativement.

La première étape nous emmena au Pic du Nord. L'itinéraire construit il y a plus de 700 ans passe par d'anciens sentiers escarpés et par de longues rampes d'escaliers bien raides taillés dans la roche. Certains endroits sont assez vertigineux et parfois polis et glissants comme peuvent l'être les calcaires très fréquentés. Mais de bonnes grosses chaines permettent une ascension en toute sécurité.

Nous n'étions pas seuls, des groupes de jeunes Chinois réalisaient à peu près la même excursion que nous mais avec comme but, une sorte de pèlerinage dans des lieux où se déroulèrent quelques escarmouches de ce que les communistes appelaient "la guerre de libération" avant 1949, date de la prise du pouvoir par le Président Mao Tsé-toung. Il y avait aussi des familles avec enfants. Au bas d'un escalier, un tout petit Chinois pleurait, ne voulant pas escalader une rampe qui le terrorisait. Nous décidâmes d'intervenir. Après moult palabres avec notre interprète, il accepta me monter sur les épaules d'Eric pour franchir ce mauvais pas alors que je me tenais tout près derrière son frère qui courageusement escalada les quelques 200 marches fort raides de cette partie de l'ascension. Sans que je puisse lui dire un mot d'encouragement dans sa langue, il comprit que je me tenais prêt à le retenir en cas de difficulté ou de faux pas.

Il semble que l'aide que nous avons apporté à cette famille fit rapidement le tour des 5 pics sacrés, car il était presque inimaginable que des étrangers "au long nez" viennent en aide à des Chinois.  Nous étions encore assez proche de l'époque des concessions étrangères, dont les colons, anglais et français principalement, avaient marqué les esprits des habitants de ce beau pays par leur racisme, leur mépris et leur dénigrement d'une culture ancestrale.

Nous arrivâmes bientôt au Pic du Nord. Le paysage était fantastique, des pins tordus agrippés à des aiguilles rocheuses surnageaient au-dessus d'une mer de brouillards qui s'effilochaient de temps à autre et laissaient apparaître un pâle soleil vers un infini de montagnes semblables et de collines dans le lointain. Nous fûmes accueillis sur la terrasse d'une sorte d'ermitage très ancien avec une tasse de tisane brûlante servies par des taoïstes, hommes et femmes, plus aubergistes que moines. Le confort était rudimentaire, un peu comme dans nos vieilles cabanes des Alpes, mais j'ai le souvenir d'un bon souper exclusivement végétalien, de longues discussions sur la terrasse à la tombée de la nuit puis dans le réfectoire mais je ne me souviens plus des couchettes ou du dortoir où nous avons dormi.

Le lendemain l'excursion se poursuivit en direction du point culminant en passant par deux autres sommets. Montées et descentes se succédaient, assez rudes dans l'ensemble mais dès que nous arrivions en-haut d'une paroi rocheuse ou sur quelque éminence, la vue spectaculaire effaçait en un instant la fatigue de la grimpette. Et nous nous extasions devant ces paysages, souvent reproduits dans la peinture chinoise classique où certains arbres nains, surtout des pins ressemblent singulièrement à des bonsaïs japonais naturels. Comme nous n'étions pas pressés, nous avions tout le temps de nous reposer avant de continuer notre chemin. Nous passâmes la seconde nuit sur le pic le plus haut du Hua shan, dans un autre monastère taoïstes, nettement plus grand que celui de la veille, construit exclusivement en bois, au sommet du pic rocheux.

On nous décrivit en détails l'héroïsme des soldats de l'Armée Populaire de Libération qui prit d'assaut ce bastion fort bien défendu par les troupes nationalistes de Tchang Kaï-chek. Un grand groupe de jeunes militants avec leurs drapeaux rouges y était monté spécialement pour "honorer la mémoire de ces vaillants combattants". Sur la terrasse, ils ne contemplaient guère la vue splendide, mais ils évoquaient avec leurs guides et les commissaires politiques les péripéties de la "bataille du Hua shan". Ils ne passèrent pas la nuit au monastère et redescendirent une fois la conférence terminée.

Je n'ai guère de souvenir de notre retour, si ce n'est qu'il nous a fallu fréquemment nous écarter du sentier ou des rampes d'escaliers et de nous poser quelques instants sur la roche nue afin de laisser passer les groupes qui montaient.

Maurice Zwahlen, un demi-siècle plus tard


(Les photos proviennent de ma collection, ce sont des diapositifs Ektachrome pris avec un vieux Praktica fabriqué en RDA, numérisés récemment et qui n'avaient pas trop perdu leurs couleurs avec le temps écoulé).

 Légendes des photos dans l'ordre d'affichage :

 1. Un des pics du Hua shan

 2. Hua shan : Paysage inspirant la peinture chinoise classique

 3. Hua shan :  Cheminement quelque peu vertigineux

 4. Hua shan : Approche d'un monastère - auberge

 5. Jeunes militantes consultant le plan de la baille du Hua shan

 6. Brumes matinales au sommet du Hua shan